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André Breton lui-même a utilisé dans ses livres le caractère surréaliste de la photographie pour montrer la vérité à travers le banal. Mais comment un art qui se définit par sa connexion au réel peut-il être surréaliste?

Dans son manifeste, Breton définit le surréalisme en ces termes : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Deux traits du surréalisme sont particulièrement pertinents à la photographie : la création automatique et la mise en relation d’éléments disparates.

Le Manifeste du surréalisme a été publié en 1924. La même année, Leica commercialisait le premier appareil photo petit format. Tout bon surréaliste verrait là la manifestation du « hasard objectif » cher à Breton pour qui le fortuit est porteur de sens. Petit, léger, maniable, le Leica ouvrait la voie à la création automatique en photographie. Il est devenu l’appareil mythique du photojournaliste Henri Cartier-Bresson. L’idée reçue veut que celui-ci déclenchait à « l’instant décisif » — son premier livre, Images à la sauvette, est paru en anglais sous le titre The Decisive Moment. Au contraire, Cartier-Bresson mitraillait frénétiquement, quatre Leica autour du coup. L’instant décisif, il le découvrait en scrutant ses planches contacts. C’est le titre français du livre qui renseigne sur l’approche surréaliste de Cartier-Bresson.

Libre, éclatée, la photographie petit format sollicite le hasard objectif. Elle favorise la mise en relation d’objets dissemblables dans le cadre de l’image. Elle appelle la rencontre du parapluie et de la machine à coudre de Lautréamont. Des significations nouvelles et étonnantes en émergent.

La photographie demeure connectée au réel; c’est le réel lui-même qui est surréaliste. La photographie offre un immense potentiel de création automatiste et éclectique. Aujourd’hui, la liberté de prise de vue apportée par les appareils numériques multiplie ces possibilités, à la condition que le photographe lâche prise et qu’il déclenche gaiement.